Cela fait déjà quelques années que j’enseigne la reliure.
J’ai d’abord oeuvré à l’atelier parce qu’on me le demandait, par petits groupes, pas plus de trois personnes.
Au début, je ne voulais pas, non parce que je voulais garder jalousement mon savoir mais parce que j’estimais que c’était une responsabilité. Et puis parce que la reliure, c’est avant tout un Métier!
Donc, tout d’abord par petits groupes, parce que l’atelier n’est pas extensible mais également parce que cet enseignement nécessite une attention de tous les instants.
Depuis plusieurs années, je sévis (dans tous les sens du terme) également à Paris-Ateliers, rue des Arquebusiers.
Là, les groupes y sont plus fournis et tout public est accepté ce qui est (ou pas^^) une bonne chose.
Je dois parfois jongler avec mes 9 ou 12 élèves, avoir la tête, les mains et les yeux partout.
Parfois, c’est même à croire que j’ai les yeux devant et derrière la tête, ce qui a le don d’agacer mes élèves 😉
Mon plus grand bonheur est de voir des novices, dont certains ne savent rien de la reliure, faire au fil des années (et non pas des mois) de belles reliures avec des corps d’ouvrages qui ont quelques défauts certes, mais chose importante: ils voient ces défauts, cela les énerve 🙂
Tant qu’un élève, comme un artisan, voit ses défauts , c’est qu’il peut être perfectible… S’il le veut!
Répéter inlassablement cette phrase: “Tu répartis tes chasses”, cette phrase qui doit être celle que j’ai prononcée le plus depuis ces 15 dernières années.
S’amuser de voir les “anciens” s’étonner, lorsqu’ils expliquent aux nouveaux parce que je suis occupée ailleurs, “qu’ils ne comprennent rien” après avoir fait 3 tentatives d’explication .
Cela me réjouit! Ils se rendent compte qu’enseigner n’est pas si facile.
Oui, il faut beaucoup de patience, de rabachage, de sévérité, d’exigeance, d’humour aussi, de verres vidés, d’anniversaires fêtés, de chagrins partagés… pour enseigner la reliure.
Il faut en avoir vu des livres de travers, des cuirs malmenés, des coupures aux doigts, des cartons mal équerrés, des couteaux à parer qui sont rudoyés, des pointes mal affutées, des pinceaux qui perdent leurs poils, ceux que l’on retrouve collés sous sa page de garde parce qu’on a pensé que ça ne se verrait pas, des étapes faites n’importe comment, surtout celles dont on a pas compris le sens.
Il faut en permanence parce que cela est crucial expliquer à son élève pourquoi on lui demande de faire telle ou telle chose.
Comment en comprendre l’importance si on se contente de lui dire “fais ceci ou fais cela. Parce que c’est comme ça!”
L’enseignement a deux vertus: révéler les élèves à eux-mêmes en transmettant le peu que l’on détient et s’enrichir de ces mêmes élèves parce qu’un artisan qui enseigne apprend également de ses élèves à condition d’avoir assez d’humilité!
Cette année encore, je présente deux de mes élèves au CAP et j’espère leur avoir donné les clefs pour réussir leur examen…